Le monde fabuleux de Pisanello

D’abord peintre de cour, Antonio di Pucio, dit «Pisanello», sut restituer l’art de vivre du quattrocento. Et c’est en peintre animalier qu’il surpassa ses pairs. De son œuvre dispersée il reste quelques merveilles. A voir au Louvre

Le petit Pisan aura finalement eu de la chance. Artiste célèbre du quattrocento, chanté par les poètes, recherché par les princes, cet artiste rare a failli disparaître de l’Histoire. Ses fresques les plus importantes n’existent plus, ses peintures pas davantage, détruites par les guerres (les canons de François Ier à Pavie), par l’humidité (à Mantoue), les modes successives (au palais des Doges, à Venise, de grandes toiles furent collées sur ses panneaux), les reconstructions de châteaux et d’églises (Saint-Jean-de-Latran, à Rome). Pis, on hésite encore sur sa date de naissance (avant 1395, en raison du testament de son père, enregistré cette année-là) et sur celle de sa mort (après 1455, car on sait qu’un garzone de son atelier vendit 30 médailles d’argent d’un coup). Une chronologie difficile, des erreurs d’attribution faillirent avoir raison de sa mémoire. Ainsi le Louvre, qui avait acquis en 1856 un volume contenant 318 dessins de Léonard de Vinci, s’aperçut, vingt ans plus tard, que la plupart étaient de Pisanello.

C’est ce fonds maison qui explique l’exposition d’aujourd’hui, enrichie de peintures (cinq sur les six connues dans le monde), de deux fragments de fresque (sur les quatre conservées en Italie) et d’une cinquantaine de médailles. L’occasion de découvrir presque tout Pisanello…

On sait qu’Antonio di Pucio naît à Pise (d’où son surnom) d’un père drapier et d’une mère originaire de Vérone, où la famille s’installe très vite. Mais, c’est dans les ateliers d’enluminure lombards qu’il développe ses dons pour le dessin, son goût de la précision, du détail, du fignolage sur miniature. Cet art de la ressemblance éclaire ses portraits: du coup, il enflamme les Gonzague à Mantoue, les papes à Rome, les d’Este à Ferrare. Malgré les guerres incessantes, les pièges, les complots, l’Italie est en mutation, la Renaissance et ses raffinements s’annoncent.

L’âme a besoin de culture et notre Pisan s’épanouit en peintre de cour. Chez Leonello d’Este, à Ferrare, prince érudit, fasciné, comme toute l’époque, par les romans de chevalerie, l’artiste trouve confort matériel, gloire et liberté. Persuadé que l’art doit égaler l’ «élégant artifice de la nature», Leonello commande à Pisanello quelques-unes de ses plus belles médailles: portraits fidèles d’un côté, allégories de l’autre, l’artiste cerne pour la postérité la vérité physique et psychologique de son modèle.

De Ferrare à Mantoue, ou à Naples, chez Alphonse d’Aragon, le spectacle est éblouissant. On vit entouré de philosophes et de poètes. Les musiciens et les tapissiers viennent des Flandres. Dans les palais meublés d’antiques, la vaisselle est d’or, les verres sont de Venise. Princes et princesses se pavanent dans des vêtements à traîne de soie brochée, dentelles lamées, brocarts alourdis de bijoux.

Diadèmes, agrafes, chapeaux extravagants – ébloui par tant de magnificence, Pisanello peint les derniers émerveillements de la rêverie gothique, l’art de vivre d’un quattrocento encore médiéval, un univers romanesque, épris de chasse et de tournois, «des histoires de cape et d’épée dont il raconte même les temps morts», explique Dominique Cordellier, le conservateur responsable de l’exposition. Dans un chatoiement de couleurs dorées, voici des villes fantastiques, des dragons, des bateaux, des Mongols à barbiche, un beau chevalier aux cheveux bouclés, le profil exquis d’une noble dame à l’élégance précieuse et la croupe d’un pur-sang somptueusement harnaché. Saint Georges délivrant la princesse de Trébizonde, malheureusement resté à Vérone, est l’œuvre d’un enchanteur.

Pourtant, de l’avis de son premier biographe, c’est dans la peinture des chevaux et des animaux en général qu’il surpasse tous les autres. Il a pour eux une sympathie d’homme de cour, de chasseur, de zoologiste. Et c’est un perfectionniste. D’où les centaines de dessins préparatoires, véritables catalogues de virtuosité, où il varie les points de vue.

Immortalisé à son tour par une médaille qui lui accorde les sept vertus, le peintre des princes ne s’est guère soucié pourtant des principes rigoureux de la Renaissance. Dans sa forêt de Brocéliande croisent des êtres et des animaux fabuleux. Un enchanteur n’a pas besoin de grande théorie.

 

Lien à

http://www.lexpress.fr/informations/le-monde-fabuleux-de-pisanello_614179.html

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